-244 Hiver - La bienveillance de la Reine Arsinoé
Sinope - Début du printemps -244 :
La reine riait. Elle tournait sur elle-même à l'intérieur du spacieux gynecée, dansante et belle. La princesse du Khartli la regardait avec admiration et déjà vénération. Arsinoë vint vers son amie et lui prit les mains pour l'emmener dans sa danse.
"Basileia, toi dont la beauté est un don d'Aphrodite, quelle raison t'incite ainsi à danser ?"
Dans sa somptueuse demeure Agathoclès ne décolérait pas. Une troisième faction venait de naître sous ses yeux. Il avait démontré au basileus le danger représenté par les Scythes, leurs rezzous sans nombre sur la frontière. Sa sœur la belle Agathoclea l’avait soutenu entre deux douces caresses à son amant royal… Il attendait donc une expédition militaire pour châtier les Scythes, porter le fer et le feu sur leurs troupeaux. Au lieu de cela, depuis le mariage royal, Agathoclea vivait esseulée. La reine avait captivé l’amour du roi et ce dernier l’écoutait avec plus d’attention qu’il n’en avait jamais apporté à Agathoclès. Les opérations de guerre s’étaient ainsi muées en missions pacifiques et religieuses. Le polémarque gras serra les poings et les lèvres. Il devait réfléchir à cette nouvelle situation.
Le dioecète Sosibios, un calame sur son écritoire en bois, regarda sans les voir le long rouleau de papyrus. Il songeait à la décision royale. Le maigre économe ne vivait que pour le roi et son pays. Dans sa demeure, aucun enfant ne riait, aucun chant féminin. Depuis longtemps déjà son testament offrait toute son immense fortune à son basileus. Le partage des compétences entre Agathoclès et lui s’était finalement opéré, Sosibios se réservant le commerce et Agathoclès les opérations militaires. Bien sur le roi arbitrait le tout. Même Sosibios, pourtant ennemi personnel d’Agathoclès, ne doutait pas de la fidélité d’Agathoclès, sinon, depuis bien longtemps, son cadavre flotterait dans les eaux du port… Le roi pratiquait une subtile politique d’équilibre et de rivalité entre les deux factions, opposées. Mais l’arrivée de la reine Arsinoë changeait le rapport de force. Par exemple, elle était spontanément venue auprès du roi son époux pour lui parler de la situation difficile des femmes et des enfants dans ce monde ravagé par la guerre. Le basileus adopta alors une série de mesures nommées bienveillance d'Asclépios : aide aux orphelins, accueil des pauvres grecs, des mutilés de guerre et des réfugiés de Pergame, mais aussi un envoi d’offrandes sacrées aux temples romains, à leurs prêtres et à leurs fidèles… Sosibios ne parvenait plus à compter et soupirait en songeant aux finances royales !
D’autant plus que la reine projetait encore avec l’aide du savant alexandrin Ctésibios de construire une réplique du Museion d’Alexandrie à Sinope, et en accord avec son amie la princesse du Khartli un grand temple dédié à Asclépios en Hypanis…
Sosibios redoutait l’irruption de cette troisième faction dans le jeu politique du Pont Euxin. Il posa définitivement son rouleau de papyrus pour s’approcher de l’autel domestique. De longues prières allaient suivre, prières pour que le couple royal obtienne des enfants. La reine déciderait-elle une fois mère de s’abstenir de la politique ?
Plus tard dans la journée, sur le port de Sinope, les navires chargés d’offrandes religieuses étaient consacrés par les prêtres. La reine avait porté elle-même les coffrets fermés à destination des prêtres célébrant les cultes à mystères, et un peplos qu’elle avait tissé à destination de la doyenne des Vestales. Se rapprochant de la prêtresse d’Héra elle lui avait simplement dit : une fois à Rome, demander à la déesse d’honorer notre mariage par un garçon digne une gloire d’Héra…