Le char de feu d’Apollon n’allait pas tarder à disparaître derrière les monts Taygètes.
Sur la Place des Platanes, les rois de Sparte, l’Eurypontide Nicandre et l’ Agiade Téléclus, suivaient sa course tout en échangeant avec plusieurs autres Homoioi dont le vieil et sage Pausanias.
« Ô Rois, j’applaudis au nom de Sparte la célébration du mausolée des Héros, élevé pendant que nos armées œuvraient pour la Gloire de la Cité au nord et à l’est, par delà les monts. Nos artistes ont œuvrés pour le rendre mémorable. Et, premier du nom, mémorable il le sera ! »
Le vieux guerrier songeait, non sans fierté, à ce mausolée sobre et tout en retenue, paré de la pudeur de sa Polis, mais qui dégageait, dès lors que l’on s’approchait de ses colonnades, une émotion et une fierté qu’il avait ressentit au plus profond de lui quand les rois avaient, de concert, procédés au sacrifice rituel.
Téléclus et Nicandre, une fois la chèvre sacrifiée, s’étaient tournés vers l’édifice qui faisait face au Mausolée des Héros de l’an -758. Il s’agissait également d’un Mausolée, mais celui-ci était dédié aux épouses des Homoioi qui étaient mortes en donnant naissance aux enfants de l’année.
« Les Hommes meurent au combat, les femmes en couches. Pour la grandeur de Sparte. La Cité doit donc se souvenir de ceux qui sont morts pour obéir à Ses Lois » pensa Pausanias.
Renonçant à s’appuyer sur son bâton d’olivier le sage Laconien mit un point d’honneur à se lever de son banc de pierre par la seule vigueur de ses vieux muscles. Il commença à déclamer, à voie basse, pour ne pas briser la magie du crépuscule :
« Il est beau qu’un guerrier, à son poste immobile,
Meure pour sa polis, et meure aux premiers rangs
Mais fuir et ses foyers, et sa ville, et ses champs,
Mais mendier au loin une piété stérile,
Mais avec une épouse, une mère débile,
Traîner et son vieux père et ses jeunes enfants
Amis, de tous les maux ces maux sont les plus grands ! »
Ce fut au tour du roi Nicandre, accompagné de ses Hippéis de reprendre
« Partout le lâche, errant de rivage en rivage,
Voit des yeux ennemis, et partout rebuté,
De son front avili fait mentir la beauté ;
A son nom, que du peuple environnait l’hommage,
D’un mépris éternel s’attachera l’outrage ;
Pauvre, exilé, souffrant, on le hait, on le fuit ;
L e chagrin l’accompagne et l’opprobre le suit »
La voie grave du roi Téléclus se fit alors entendre, accompagné de l’assemblée des quelques dizaines d’Homoioi qui se tenaient par les épaules, entonnant, maintenant, le chant des vertus de Sparte.
« Combattons mes amis ! Mourrons avec courage !
Mourons pour nos enfants et pour notre pays.
Vous, guerriers, vous encore à la fleur de votre âge,
Ferez-vous de la fuite un vil apprentissage ?
Allons, pressez vos rangs, marchez aux ennemis !
Que chacun, saisissant sa forte javeline,
Sente un cœur mâle et fier battre dans sa poitrine ! »
L’assemblée se tut alors, rythmant les paroles du vieux Pausanias qui, seul, continuait, en se frappant la poitrine.
« Le guerrier est beau quand, prodiguant sa vie,
Il meurt pour la polis, et meurt aux premiers rangs ».
Le silence était maintenant total, l’astre solaire avait disparu au couchant. Téléclus songea aux évènements du printemps et de l’été. Quelques images s’imposèrent à lui.
L’hommage à Zeus Lacédémone qui avait ouvert la campagne et rassemblé les six moras de l’armée.
La rapide campagne du nord, où la seule apparition des capes écarlates des hoplites de Sparte avait suffit à soumettre les cités mineures qui refusaient la protection des Lacédémoniens.
La campagne de l’ouest, sous le soleil torride de l’été. La marche joyeuse des combattants de Laconie, pour lesquels la progression dans la fournaise n’était qu’un jeu comparé à leurs entraînements et à l’Agôgé. Et les quelques combats, dans lesquels, bien souvent, n’étaient engagée qu’une partie de l’armée. Les victoires qui s’étaient enchaînées, pour la gloire de la Cité. Pour la puissance de Sparte. Et les héros morts. Pleurés, loués puis honorés.
Les terres du nord de Sparte étaient maintenant sous son influence. Et celles de l’est le seraient totalement l’année prochaine.
« Zeus Lacédémone père de toutes choses ! Castor et Pollux tes divins fils qui ont accompagnés l’armée au premier rang ! Appolon le brillant qui éclaire notre voie ! Héraklès le puissant, mon glorieux aieul ! Et enfin toi sage Artémis qui nous protège de l’Ubris dans la bataille ! Ô Dieux ! Que Sparte mérite toujours d’être sous votre regard » conclut le roi, rejoint dans sa prière par les pairs qui l’entouraient…
HJ : Poème librement inspiré d'une élégie de Tyrtée (Contre Léocrate), traduite par Firmin Didot en 1831 et reprise dans le recueil de Jean Malye "La véritable histoire des héros spartiates" Les Belles Lettres - 2010.