-245 - Nouvelles d'Epire
Province de Thesprotia - 6e jour de l'été 245.
Comme tous les jours depuis l'hiver dernier, Pausanias attendait patiemment qu'un garde vienne lui ouvrir. Il venait rendre visite à son père, Théoclidès, retenu dans les geôles de la citadelle de Threspotia depuis l'hiver dernier.
Accusé d'avoir fêté un peu trop vivement les victoires macédoniennes et surtout d'avoir appelé publiquement au rattachement de la province de Threspotia à la Macédoine lors des grandes fêtes de Dyonisos de l'automne, il avait été mis au secret par le gouverneur spartiate Endymios.
La série d'arrestations avait mis au jour un vaste réseau de sympathie pour la Macédoine et Endymios attendait en vain les consignes pour faire face à cette menace. Il est vrai qu'avec la chute de Ioanina voisine et de Prevezza, avec le départ pour l'Italie des armées et des escadres de Carthage, les nouvelles du Péloponnèse étaient rares...
Il s'était préparé à voir arriver les armées macédoniennes dès le printemps : les greniers avaient été remplis par des convois d'Appolonia, la garnison complétée, les villages alentours vidés... mais personne ne vint. Avec le printemps qui avançait les paysans des environ repartirent dans leurs village car les travaux des champs ne pouvaient plus attendre.
Au milieu du printemps, Endymios reçu son homologue d'Appolonia qui l'informa des combats et mouvements des armées en Etolie... La guerre était donc loin et l'ennemi occupé.
L'été arriva paisible et moins chaud que les années précédentes. "Un bon présage", pensa le gouverneur. Il avait reçu finalement des consignes de fermeté vis à vis des "agitateurs et des traitres" de la part des Ephores. Endymios agirait selon leur décision.
60ème jour de l'été, le procès des principaux agitateurs dont Théoclidès faisait partie battait son plein. Endymios avait déjà condamné celui qu'il pensait être le meneur et voulait en faire un exemple : il serait mis à mort !
Alors qu'il somnolait nonchalamment à l'écoute d'une plaidoirie particulièrement assommante, un brouhaha le tira de sa rêverie… Un des peltastes de faction s’approcha de lui : « Ils sont là ! ! Ils arrivent… ». Endymios blêmit. Ainsi l’été ne serait pas si calme… « Combien ? » demanda le gouverneur d’un ton assuré, fruit de son éducation spartiate. « Des milliers, une armée entière d’après les villageois qui les précèdent : beaucoup plus nombreuse que celle qui a pris Ioanina.
- Bien, faites fermer les portes et chacun à son poste. » Se retournant vers l’assistance : « Le procès est ajourné, les accusés seront renfermés dans leur cellule sans visite jusqu’à nouvel ordre »
Forteresse de lla capitale de Thesprotia - 31ème jour de l’été 245 :
Pausanias n’en croyait pas ses yeux… L’armée macédonienne s’était déployée sous les murs de la forteresse et une immense tour avait été dressée dans la nuit. Le siège serait long néanmoins car la forteresse construite sous le règne de Pyrrhus était des plus modernes et avait été construite en blocs solides.
Cela il l’avait entendu en écoutant la conversation d’amis de son père, réunis le matin même dans leur remise. Il y avait Agatoclès, le forgeron, Philstos le négociant en vin et d’autres encore que Pausanias avait vu en compagnie de son père l’hiver dernier. Il y avait aussi un petit homme, assez âgé, qu’il n’avait jamais vu auparavant.
Il s’exprimait avec un fort accent macédonien et était entré dans la ville avec les réfugiés de la veille : Orestos était son nom. « Orestos, nous sommes prêts. Nous attendions ce moment depuis longtemps. Nos partisans sont nombreux en ville et ce procès injuste et sévère a fini de faire basculer la population. Il n’y aura pas de soutien massif à la garnison.
- Parfait… » reprit le petit homme de sa voix chantante. « Je vais informer le stratège, il faudra faire vite : ce soir.
- Entendu ».
La journée passa, interminable pour Pausanias. Comme il ne pouvait rendre visite à son père, il alla chanter près de la cour de la forteresse. En repartant, il croisa de nombreux petits groupes d’hommes qui convergeaient vers l’entrée de la forteresse. Agatoclès était parmi eux et dépassait l’attroupement d’une bonne tête. Il prit la parole : « Peuple de Threspotia, Gouverneur Endymios, le temps de Sparte en Epire est terminé : les dynasties des Molosses et des Antigonides ne font qu’un, nous voulons rejoindre la Macédoine comme nos frères et sœurs d’Arta, Prevezza ou Ioanina… »
Le gouverneur qui avait été averti dès le début du rassemblement regrettait d’avoir attendu pour faucher cette engeance… Il prit la parole : « Peuple de Threspotia, depuis de longues années vous bénéficiez des largesses de Sparte et de sa protection : ne vous laissez pas influencer par quelques oiseaux de mauvaise augure : les armées de la ligue du Péloponnèse viendront bientôt laver nos champs de la vermine macédonienne…
- Assez ! », répliqua Agatoclès « Votre présence offense les Dieux : l’oracle de Dodone a parlé cet hiver… Zeus par sa bouche a mis le destin de la Grèce dans les mains du Roi Alexandros de Macédoine !
- Tu parles bien pour un forgeron. Te voilà bien savant ou… tu as bonne mémoire et tu récites à merveille ta leçon. Voyons voir si tu n’as pas d’autres choses intéressantes à nous apprendre : gardes emparez vous de lui ! ». Les peltastes qui composent la garnison en majorité ont à peine amorcé leur mouvement que des armes apparaissent parmi la foule. « C’est ainsi », pensa le gouverneur… « Gardes, à vos javelots ». L’ordre à peine passé, Agatoclès est percé de part en part par trois javelots… La foule un moment indécise, laisse alors éclater sa fureur qu vient s’écraser sur les portes de la citadelle. Voyant qu’il ne pourrait venir à bout de cet obstacle Philstos et ses compagnons gagnent la porte de la ville dont les gardes sont massacrés.
« Stratège… Je pense qu’il s’agit du signal ». Orestos désignait à Polyperchon – le preneur de ville – le bouclier spartiate maculé de sang que Philstos agitait depuis la porte de la ville.
Le vieux stratège tout à l’étude des fortifications et à son plan d’attaque mis un petit temps à réaliser… « Mais alors ?
- Oui, nous pouvons entrer dans la ville.
- Ils sont à nous alors… Sosthènes, Aratos faites entrer vos hommes dans la ville. Vous attaquerez sur le champ » Les deux tétrarques se frappèrent le torse et partirent en courant.
- Chefs Bituitos et Concolitanus, frères d’armes de toutes mes prises, vous entrerez à leur suite. » Les deux chefs keltoï hochèrent la tête et Polyperchon put entendre la clameur des guerriers celtes à l’annonce du combat qui approche.
Forteresse de lla capitale de Thesprotia - 62ème jour de l’été 245 :
La citadelle était tombée… mais pas sans perte. L’entrée dans la ville s’était passée sans encombre et avait facilité grandement l’approche des murs de la citadelle qui était en fait le palais fortifié du gouverneur. La prise de cette place s’était avérée particulièrement meurtrière de par la disposition exiguë des lieux qui empêchait aux phalanges de se déployer et surtout à l’acharnement de la garnison à se battre…
Finalement, au petit matin du 20e jour de siège et de l'antépénultième assaut, Endymios avait été acculé et s’était rendu. Devant le courage de ces hommes, Polyperchon leur avait offert de repartir vers Argos, ce qu’ils avaient accepté.
Le repos serait bref car déjà le « preneur de villes » pensait au second objectif de son Roi : Appolonia…