-246 Printemps - Campagne navale
– 246 - 5e jour du printemps– Epire – Passe d’Aktion près de Prevezza.
Acestorides regardait Prevezza avec appréhension. Les combats, demain feraient rage, depuis que les opérations de débarquement avaient jeté sur les plages du Golfe d’Embracie les dizaines de milliers d'hommes des armées alliées, Acestorides attendait des nouvelles de la mise à terre, au nord, des armées de Himilcon et de Hannon.
Les premiers rapports, trop fragmentaires, ne permettaient pas encore de dégager d'enseignements sur l'issue des combats futurs. Acestorides se tiendrait prêt à rembarquer les troupes si nécessaire.
L'amiral Corinthien avait ainsi débarqué le Roi Acrotatos de Sparte, chef de la Ligue du Péloponnèse, sur les plages ou un an plus tôt Xenophon avait posé le pied. Deux armées spartiates étaient à terre, une armée punique, une autre athénienne. Acestorides, de sa passerelle de commandement pouvait également apercevoir sur les collines, les colonnes étoliennes se déployer à l'aile droite de la gigantesque armée massée au nord de Prevezza.
Amilcar commandait à ces masses d'hommes. Nombreux étaient ceux, au sein des états-majors, qui avaient récriminé contre la nomination de ce jeune homme à un poste aussi important et crucial. Mais Amilcar en avait imposé à tous. Il émanait de lui une autorité naturelle, une aura telle que certains crurent apercevoir un instant le divin Alexandre dans ce garçon d'à peine 25 ans.
Les puniques avaient également débarqués à l'ouest de Prevezza. Himilcon commandait. Quelle avait été la surprise des spartiates et des guerriers du Péloponnèse de voir, débarqués à Crocyre des masses innombrables d'hommes, casqués, armurés, telles des forteresses vivantes, apportant la crainte et l'effroi dans le rang des ennemis. Hannon, le premier suffète de Carthage poserait le pied sur les terres épirotes, suivi par la formidable armée de Carthage, organisée à la grecque, disciplinée et d'une redoutable puissance.
Acestorides en était là de ses réflexions, lorsque les vigies donnèrent l'alerte. De la passe d'Aktion, des voiles furent signalées. Ordre général fut donné de se préparer au combat. L'amiral se rendit aux passes et dirigea ses navires vers le détroit. Lui-même, sur une rapide Liburne se hâta vers Aktion.
Le spectacle qui l'attendait le navra. A peine monté à bord de la trière de surveillance, Acestorides ne put que dresser le constat: les voiles n'étaient pas amies. Elles portaient les couleurs romaines et syracusaines. D'autres, plus lointaines étaient encore indiscernables, mais on viendra avertir le commandant en chef de la flotte que ces voiles étaient aux couleurs lagides. Les lagides, les ennemis de Sparte, des lâches, des chiens qui profitent de la guerre pour tenter un festin sur les cadavres encore chaud.
Mais Acestorides ne l'entendait pas ainsi. Il ne sera pas dit qu’un navarque de Corinthe, commandant en chef de la flotte du Péloponnèse a refusé un combat. Il ne sera pas dit qu’il a fui devant ces vautours, venant chercher un trop facile repas.
L'amiral donne alors ses ordres et masse ses navires en plusieurs lignes serrées, comme l'avait fait Thémistocle 240 ans auparavant, à Salamine, bloquant le détroit d'une ligne impénétrable. Montrant un front superbe, Acestorides camoufle la faiblesse de ses moyens, 3 escadres seulement, deux spartiates et une punique, par la concentration.
Les heptères puniques sont en première ligne car plus haute, elles rendent plus difficile un abordage ennemi. Leur rostre puissant repousse tous les ennemis et décourage d'attaquer. Derrière, les trières fournissent la réserve et les troupes embarquées peuvent aisément passer sur la première ligne, tant les navires sont bord à bord.
De la première ligne, les marins apostrophent l'ennemi, penchés sur les proues, les abreuvant d'insultes faciles et de provocations diverses. Acestorides en sourit car il teste ainsi le moral de ses marins. Il ne se fait pourtant pas d'illusion. Il compte désormais plus de 400 voiles ennemies, bien plus que les 80 sur lesquelles il peut compter. Certes, les heptères puniques valent, au moins trois escadres romaines, mais le compte est bien loin de suffire.
Acestorides sait qu'il ne pourra pas rembarquer les armées si l'ennemi attaque. Pourtant, il tergiverse. Les escadres ennemies évoluent, cherchant une solution d'attaque, un angle faible, un défaut à la cuirasse. Elles ne le trouvent pas. Les romains simulent des attaques, testant ainsi la force du dispositif mais refusent systématiquement. La journée se passe donc en intimidations sans que jamais l'assaut ne soit donné.
Les imposants navires Lagides, surmontés de tours qui leur donnent l’aspect de forteresses flottantes, restent plus en retrait.
« Ils n’attaquerons plus. » finit par conclure le Navarque, alors que le chariot de feu d’Appolon disparaît à l’horizon. « Mais qu’est il advenu de Hannon et de Himilcon, sans protection navale, plus au nord », s’inquiète t il. Un sombre pressentiment l’étreint.
A la nuit, Acestorides fait déployer des barques sur l'avant des escadres, avec des lampions destinés à éclairer sur l'avant. Il fait également déployer à terre des veilleurs, de chaque côté de la passe, afin de protéger la flotte d'une éventuelle attaque de terre. La nuit se passe calmement. Les insultes continuent d'être copieusement envoyées vers le large et les rires succédaient aux quolibets.
L'aube augurait de bien douloureux moments. Acestorides prépara donc ses escadres, soldats, marins, rameurs à l'inévitable choc des escadres ennemies. Pourtant, le soleil levant apportait avec lui l'espoir. Les yeux perçant des guetteurs annoncèrent dès l'aube des voiles à l'horizon. L'amiral se porta en avant et eut grande joie du spectacle qui s'étalait devant ses yeux.. Reconnaissable entre tous les navires qui défilaient à l'horizon, Acestorides discerne la "Reine Elissa", l'Heptère de commandement d'Hannibal. Les renforts arrivaient à point pour punir l'ennemi d'un coup de force si bas.
En un instant, les ordres furent donnés. De la posture défensive qui avait réglé la journée de la veille, Acestorides pris les dispositions de combat. A l'escadre punique, il fit joindre le gros des flottes alliées, 480 voiles en tout. Aux escadres spartiates, il confia la surveillance et la protection des plages afin de rembarquer, s'il le fallait les armées alliées.
Prevezza était en proie à une grande agitation constata Acestorides en sortant de la passe d’Aktion. « Nos armées sont passées à l’attaque », songea t il en tentant de discerner plus précisément la cité et ses alentours à travers les brumes matinales.
La poursuite s’engagea donc vers le nord. L’ennemi, aussi nombreux soit il, n’avait pas attendu les maîtres des mers…
En milieu de journée, bien que freinée par un vent de face, la flotte passa au large des plages où les armées de Himilcon et Hannon avaient débarquées. Les piquets de garde du camp saluèrent les navires qui défilaient non loin du rivage. Plus vers l’est, des nuages de poussière signalaient des troupes en marche ou des combats.
Avec le soir, arrivée à la hauteur de Corcyre, un des rapides trières de flanquement signala au navire amiral que la « Gloire d’Astarté » du Suffète Hannon était au port. Confiant à Acestorides la poursuite, Hannibal dirigea la « Reine Elissa » vers le port.
A peine arrivé sur le pont de l’Heptère du premier Suffète, Hannibal fut convié à la poupe. Hannon, lugubre, s’y tenait, en compagnie du stratégos Himilcon et d’un Grec qui lui fut présenté comme l’Archonte Chrémonides…
« Que font ils là ?» s’inquiéta soudain le grand navarque de Carthage…