1234 Les pélerins de Grande-Pologne à Saint-Gilles du Gard
L'’homme pleurait. Sa stature immense et ses bras de guerrier semblait pourtant le rendre invincible face à la douleur. Pourtant, comme les autres, il pleurait face aux souffrances de l’âme et du Christ.
Vêtu d’une ample tunique de pèlerin, l’homme venait du lointain duché de Grande Pologne pour prier. Le bourdon, un bâton de marche à un seul pommeau, le soutenait dans ce long voyage. Au cours de son long voyage le pèlerin s’en était servi pour marcher et pour se défendre. Il ne s’en défaisait qu’aux rares moments de repos. Alors, il sortait de sa besace en peau de bête quelques aliments qu’ils partageaient avec ses compagnons de route plus pauvres. Car il ne manquait pas d’argent, bien au contraire… Envoyé par le duc de Grande-Pologne comme homme de confiance, il portait avec lui un singulier et pesant trésor.
Le guerrier songea aux douleurs de son maître. Sa fille mariée à l’héritier du duc de Mazovie ne portait pas d’enfants. Alors, le pieux Ladislas Odonic avait ordonné ce voyage l’exilant loin des terres froides de sa patrie. Le puissant guerrier marcha avec ses compagnons de combat tout un été, découvrant les églises consacrée à leur saint patron saint Venceslas en Bohême. D’églises en monastères, de lieux sacrés aux moines accueillants en plaines immenses aux moissons blondes où leur toit était le ciel étoilé, les hommes continuèrent leurs marches, portant bourdon pour lui et épées pour les autres.
Enfin, un bruit inaccoutumé se fit entendre, le fracas emplissait tout l’horizon. Ils virent alors l’autre monde bleu en dehors du ciel : la mer de Méditerranée bordant la ville provençale de Saint-Gilles du Gard. Les foules nombreuses venaient en pèlerinage de toutes l’Europe, et dans la l"église à déambulatoire se pressaient les pèlerins.
Le guerrier pleurait. Il ne pouvait approcher le corps de saint Gilles. Cependant, de toute son affection envers le duc et sa patrie il pria.
Le moine qui s’approcha de lui le prit par les épaules.
« Enfant du pays » prononça l’homme avec un fort accent. Le moine retint le guerrier et ses suivants au-delà du temps des offices. Enfin, les clercs et les pèlerins descendirent ensemble dans l’église primitive reposant sous l’église nouvelle. Là reposait le corps du saint. Ensemble, ils accomplirent de nouvelles prières. Puis le guerrier prit la parole.
« J’accomplis maintenant devant tous la mission dont m’a chargé mon duc. A l’image de l’ambassade envoyée autrefois par le couple royal polonais dont l’union restait sans fruit, j’apporte aujourd’hui la demande de mon duc. Vous moines, prier pour cette union et la naissance d’héritier pour le duc de Mazovie. Nous n’oublions que c’est ainsi, en l’an 1085 de l’incarnation de notre seigneur, que naquit Boleslas III."
Le guerrier prit sa besace, il prit à l’intérieur un objet qu’il porta avec dévotion auprès des reliques du saint. « Tout comme ils agirent naguère, mon duc donne en offrande cette statue d’enfant en or pour que toujours l’objet de notre prière soit sous vos yeux. » L’homme de guerre ne dit plus un mot. A nouveau l’homme qui avait porté la mort demandait la vie nouvelle. De nouveau, il pleurait.